Trois Fermiers s’en vont au Bal. Trois narrations, tour à tour, au travers
vingt-sept chapitres, soit neuf chapitres pour chaque arc narratif.
Trois histoires à suivre en parallèle. La première, racontée à la première
personne, nous décrit la naissance d’une obsession pour la photo d’Auguste Sanders,
et les recherches qui s’en suivent. Tout en suivant sa quête, le narrateur
livre pelle mêle diverses réflexions sur la première guerre mondiale, la
technique, la photographie, et des figures de l’époque comme Sarah
Bernhardt et Henry Ford.
La seconde histoire est celle de ces trois fermiers, de gauche à droite sur
la photo: Hubert, Peter et Adolphe. Trois fermiers, trois destins liés à la
guerre. Des histoires tragi-comiques, burlesques.
La dernière histoire est celle d’une autre obsession, celle de Peter Mays
pour une rousse aperçue dans la foule d’un défilé. Ses recherches vont l’amener
lui aussi vers Sarah Bernhardt, Henry Ford et la photo, naturellement.
Ces trois histoires sont ainsi liées entre elles, la photo qui donne son
titre au livre constituant le noeud central, leur intersection. Malgré leurs
quasi similitude les trois versions des destinées des trois personnages varient
sur quelques détails, et ces légères incohérences [1] sont autant d’indices laissés par l’auteur
que nous lisons non pas une fiction, mais au moins trois fictions, trois
inventions, qui sont autant d’hommages à la photographie de Sanders.
Elle ne connaissait pas les jeunes gens photographiés, mais avait inventé,
par nécessité, toute une histoire qui les reliait à elle via cette
image docile. Après des années passées à essayer de monopoliser le cliché, elle
avait dû finir par laisser la question de l’authenticité, non pas au
photographe, ni même à la machine qui reproduit sans discrimination, mais à
chaque spectateur qui fausse l’image dans la chambre noire de son
imagination.
Ce roman est étonnant, stimulant et passionnant. Il s’agit du premier roman
de Richard
Powers, publié aux États-Unis en 1985, après plus de deux ans d’écriture,
et traduit en France seulement en 2004! Depuis nous avons droits à une
traduction tous les deux ans, ce qui est un peu plus rapide que l’intervalle de
publication de chaque roman aux États-Unis. C’est peut-être frustrant mais au
moins cela nous laisse le temps d’apprécier chaque oeuvre.
J’attends néanmoins avec impatience, et peut-être en vain, la traduction de
Galatea
2.2, dans lequel Richard Powers décrit dans quel état il a écrit ce premier
roman. Une mise en perspective supplémentaire et sûrement intéressante.