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Après un été à lire des chefs d’oeuvre de la littérature comme Trois Fermier s’en vont au bal, 2666, dont je reparlerai bientôt, ou bien des livres, comme ceux de Haruki Murakami, dont l’histoire est tellement belle qu’on ne voudrait jamais en finir la lecture, lire un livre seulement moyen est reposant. C’est ce que je viens de faire en lisant le dernier Nothomb, une lecture traditionnelle de rentrée pour moi depuis sept ans.

Enfin un livre pour lequel je n’ai pas besoin de chercher pendant des heures un superlatif pour en parler sur ce blog. Le Fait du prince est un livre moyen, ordinaire, normal. Agréable à lire, il se lit juste un peu trop vite (deux aller-retour maison travail, sans l’ouvrir chez moi), et distrayant.

Le livre idéal pour se remettre des vacances.

En certaines occasions, assis aux terrasses ou autour d’une table cabaret sombre, le trio s’installait sans aucune raison dans un silence obstiné. Ils paraissaient soudain se pétrifier, oublier le temps et se tourner totalement vers l’intérieur, comme s’ils quittaient l’abîme de la vie quotidienne, l’abîme des gens, l’abîme de la conversation et décidaient de se pencher sur une région qu’on aurait dit lacustre, une région d’un romantisme tardif, où les frontières étaient chronométrées de crépuscule à crépuscule, dix, quinze, vingt minutes qui duraient une éternité, comme les minutes des condamnés à mort, comme les minutes des parturientes condamnés à mort qui comprennent que plus de temps n’est pas plus d’éternité et cependant désirent de toute leurs âmes plus de temps, et ces vagissements étaient les oiseaux qui traversaient de temps en temps et avec quelle sérénité le double paysage lacustre, pareils à des excroissances luxueuses ou des battements de coeur. Puis, bien sûr, ils revenaient du silence endoloris de crampe et se remettaient à parler d’inventions, de femmes, de philologie finnoise, de la construction de routes dans la géographie du Reich.

Roberto Bolanõ - 2666

Ce soir-là, pendant qu’il travaillait à l’entrée du bar, il se mit à percevoir dans un temps à deux vitesses, le premier était très lent, et gens et objets se déplaçaient dans ce temps de manière imperceptible, l’autre était très rapide et tout, y compris les choses inertes, étincelait de vitesse. Le premier temps s’appelait Paradis, le second Enfer, et la seule chose qu’Archimboldi désirait était de ne jamais vivre dans aucun des deux.

Roberto Bolanõ - 2666

Trois Fermiers s’en vont au Bal. Trois narrations, tour à tour, au travers vingt-sept chapitres, soit neuf chapitres pour chaque arc narratif.

Trois histoires à suivre en parallèle. La première, racontée à la première personne, nous décrit la naissance d’une obsession pour la photo d’Auguste Sanders, et les recherches qui s’en suivent. Tout en suivant sa quête, le narrateur livre pelle mêle diverses réflexions sur la première guerre mondiale, la technique, la photographie, et des figures de l’époque comme Sarah Bernhardt et Henry Ford.

La seconde histoire est celle de ces trois fermiers, de gauche à droite sur la photo: Hubert, Peter et Adolphe. Trois fermiers, trois destins liés à la guerre. Des histoires tragi-comiques, burlesques.

La dernière histoire est celle d’une autre obsession, celle de Peter Mays pour une rousse aperçue dans la foule d’un défilé. Ses recherches vont l’amener lui aussi vers Sarah Bernhardt, Henry Ford et la photo, naturellement.

Ces trois histoires sont ainsi liées entre elles, la photo qui donne son titre au livre constituant le noeud central, leur intersection. Malgré leurs quasi similitude les trois versions des destinées des trois personnages varient sur quelques détails, et ces légères incohérences [1] sont autant d’indices laissés par l’auteur que nous lisons non pas une fiction, mais au moins trois fictions, trois inventions, qui sont autant d’hommages à la photographie de Sanders.

Elle ne connaissait pas les jeunes gens photographiés, mais avait inventé, par nécessité, toute une histoire qui les reliait à elle via cette image docile. Après des années passées à essayer de monopoliser le cliché, elle avait dû finir par laisser la question de l’authenticité, non pas au photographe, ni même à la machine qui reproduit sans discrimination, mais à chaque spectateur qui fausse l’image dans la chambre noire de son imagination.

Ce roman est étonnant, stimulant et passionnant. Il s’agit du premier roman de Richard Powers, publié aux États-Unis en 1985, après plus de deux ans d’écriture, et traduit en France seulement en 2004! Depuis nous avons droits à une traduction tous les deux ans, ce qui est un peu plus rapide que l’intervalle de publication de chaque roman aux États-Unis. C’est peut-être frustrant mais au moins cela nous laisse le temps d’apprécier chaque oeuvre.

J’attends néanmoins avec impatience, et peut-être en vain, la traduction de Galatea 2.2, dans lequel Richard Powers décrit dans quel état il a écrit ce premier roman. Une mise en perspective supplémentaire et sûrement intéressante.

Notes

[1] Par exemple Peter Mays, supposé être le descendant de Peter, l’homme au centre de la photographie, possède les troubles caractéristiques des descendants d’Adolphe, le personnage de droite: «le besoin irrépressible de suivre les rousses perçues dans la foule»

En 1920, Hans Reiter naquit. Il n'avait pas l'air d'un enfant mais d'une algue. [...] Il n'aimait pas la terre et encore moins les forêts. Il n'aimait pas non plus la mer ou ce que le commun des mortels appelle la mer, et qui en réalité est seulement la superficie de la mer, les vagues hérissées par le vent qui peu à peu se sont transformées en une métaphore de défaite et de folie. Ce qu'il aimait, c'était le fond de la mer, cette autre terre, pleine de plaines qui n'étaient pas des plaines, de vallées qui n'étaient pas des vallées, et de précipices qui n'étaient pas des précipices.

Roberto Bolanõ - 2666

Après six heures de marches dans la montagnes, la joie de se retrouver dans un petit village à 2000 m d'altitude, à moitié abandonné.

Fin de randonnée

À vue de nez le parking à triplé de capacité en deux ans. Trois grues étaient en activité dans le village lorsque nous l'avons traversé.

Pour elle, et peut-être pour de nombreuses autres personnes de sa génération, il semblait que l'avenir serait pire que le présent, que la "stabilité" était une chimère, et par conséquent que la bonne façon de vivre consistait à travailler correctement et discrètement, pour un salaire décent, sans pour autant renoncer aux fonds de retraite, en dépensant autant que faire se peut cette rénumération dans des sorties au cinéma, des restaurants, des vêtements "fun", de beaux meubles, une belle vue, et d'autres gâteries de ce genre. (Je ne veux pas être inspirée par le douleur, dit-elle à son amie Heidi. Je veux être inspirée par l'amour.) Si l'assiduité au travail de John signifiait peu pour elle, il en allait de même pour les quêtes intellectuelles ou spirituelles en tout genre. Ces dernières ne lui paraissaient pas accessibles, seulement sans intérêt. Les biens et les loisirs décoraient sa vie, et elle vivait en attendant la mort, ni heureuse, ni triste. Les sociétés de carte de crédit, les courtiers en prêts hypothécaires, les démarcheurs téléphoniques et les agences de voyage la sollicitaient continuellement. Elle ne les appréciait guère, mais ils satisfaisaient partiellement son désir inquiet d'être reconnue. De temps en temps, elle se servait de sa carte de crédit pou acheter des choses qu'elle ne pouvait pas vraiment se payer, et pendant le premier ou même le deuxième paiement la satisfaction qu'elle expérimentait était quasi sexuelle. Tous ceux qu'elle connaissait vivaient de façon semblable.

William T. Vollmann - La Famille Royale

Il est difficile sur un écran de eeepc, avec sa faible résolution, de sélectionner les plus belles photos de vacances parmi plus de deux cents. En revanche les photos les plus moches sont plus faciles à choisir.

En attendant de me retrouver devant un écran plus approprié pour les belles photos, voici quelques exemples de mochetés que l'on peut croiser pendant une randonnée dans les Alpes, en été.

Un champs de visses: Champs de visses en plein montagne

Une visse: Une visse, cueillie dans la montagne

Un animal mort: Un squelette en métal, d'un animal mort

Après avoir jeté un regard vers le dernier balcon, Mays conclut que la plupart des gens se rendaient au théâtre parce que cette activité satisfait à toutes les exigences de ce qu'en de lointaines époques on appelait des «hobbies»: elle était coûteuse, ne produisait rien d'utile, et permettait de tuer le temps. Le problème de la survie ne tenait plus à la dureté de l'existence, à sa brutalité et à sa brièveté. Aujourd'hui, la difficulté venait de ce que la vie était confortable, sinistre et longue.

Richard Powers , Trois fermiers s'en vont au bal