La vie est d'une cocasserie avec ses dispositions mystérieuses, d'une logique impitoyable au service d’une intention futile. Tout ce que vous pouvez en attendre, c'est quelque révélation sur vous-même, qui arrive trop tard, une gerbe de regrets inextinguibles. Je me suis colleté avec la mort, et c’est bien le plus insipide combat que vous puissiez imaginer. Il se déroule dans une grisaille impalpable, sans rien de solide sous les pieds, sans rien alentour, sans spectateurs, ni ovations, ni gloire, sans grand désir de victoire et sans grande peur de la défaite; dans une écœurante atmosphère de scepticisme tiède où vous ne croyez guère à vos droits et encore moins à ceux de l'adversaire. Si c'est ainsi que se présente la sagesse suprême, alors la vie est une énigme encore plus indéchiffrable que ne se plaisent à le croire certains d'entre nous Il s'en fallait d'un cheveu que je tienne ma dernière occasion de m'exprimer et je constatai, humilié, que je n'aurais probablement rien à déclarer.
Pour moi, c’est comme si j essayais de vous raconter un rêve, comme si j’essayais, en vain d’ailleurs, car aucun récit de rêve ne peut rendre la sensation du rêve: ce mélange d’absurdité, de surprise et de désarroi tandis que frémit l’envie de se débattre et de se révolter, ce sentiment d’être captif de l’incroyable, qui est l’essence même des rêves
Quand mes yeux se posaient sur sa silhouette vautrée dans le canapé, j'avais l’impression de vivre avec un nouveau spécimen d’être vivant, pour qui ne pas se prélasser aurait été fatal. Lorsque je lui avais parlé de Sansho qui urinait partout, il avait pris dans ses bras Zoromi qui se trouvait à ses côtés et lui avait répété avec insistance: «Zoromi! Tu n’as pas intérêt à m'enquiquiner comme ça. C’est compris ?» Comment pouvait-il se sentir aussi autorisé à ne rien faire? Je lui aurais bien posé la question, mais J'étais certaine que même répondre à cela aurait fatigué ce spécimen. Aurais-je donc, sans le savoir, épousé autre chose qu’un être humain?
Mais peu importe ce que je suis, ou ce que je suis devenue depuis, je sais maintenant que l’insaisissabilité n’est pas tout. Je sais maintenant que l’art savant de la dérobade a ses propres limites, ses façons d’inhiber certaines formes de plaisir ou de bonheur. Le plaisir de maintenir. Le plaisir de l’insistance, de la persistance. Le plaisir de l’obligation, le plaisir de la dépendance. Les plaisirs de la dévotion ordinaire. Le plaisir de reconnaître que l’on doit peut-être retraverser les mêmes révélations, prendre les mêmes notes dans la marge, retourner aux mêmes thèmes dans son travail, réapprendre les mêmes vérités émotionnelles, écrire le même livre encore et encore, pas parce qu’on est stupide ou obstinée ou incapable de changement, mais parce que de tels retours composent une vie.