Aimez-vous les histoires de pirates ? Les vraies histoires de pirates ! Celles qui se déroulent sur la mer, à coup de canon et de sabre, mais aussi dans des tavernes aux noms aussi poétique que «Le Rat qui pète», ou bien au cœur de la jungle des Mayas - dans un territoire hors de portée des espagnols, ou encore dans des cachots humides, dont seul le bois pourri permet à ses prisonniers de ne pas mourir de faim ou de soif… Si vous aimez ces histoires de pirates là, alors le Déchronologue est fait pour vous.
Mais le Déchronologue n’est pas une histoire de pirate ordinaire, celle du Capitaine français Henri Villon. Ce capitaine vit une époque où des phénomènes étranges se produisent. Et il s’est découvert une passion pour les maravillas, ces curieux objets apparus récemment dans la Mer des Caraïbes.
Ces merveilles sont d’étranges boîtes. Certaines contiennent de la nourriture. D’autres permettent de guérir des maladies réputées fatales. Certaines produisent de la lumière. Et d’autres encore de la musique bizarre, d’une autre époque. Il y a cette voix en particulier, un peu plaintive, que le Capitaine Henri Villon aime bien écouter. Ce Bob Dylan.
Et pour que le lecteur comprenne bien que le temps, dans ce roman, s’est totalement détraqué, les chapitres, aussi, ont été déplacés. L’ordre chronologique a disparu au profit d’une narration, étalée sur quinze ans, en forme de va et vient, entre les années et les lieux, entre les îles, les ports et les mers, entre les voyages, les combats et les fuites. Entre Alexandre le Grand, et ce terrifiant navire en métal, qui peut disparaître sous l’eau.
Le Déchronologue, c’est peu Lost, au pays des pirates. La Mer des Caraïbes remplaçant l’île.
Et ce n’est pas Roosevelt qui a inventé ça. Les Babyloniens, les Assyriens, les Mauryas, la Perse, les Incas, les Aztèques, tous, tous étaient des empires hydrauliques avides de chair et de plasma, assoiffés de vies humaines. C’est eux le New Deal, les grandes machines aspirantes et turbines à sang et flics de l’énergie et transformateurs de flotte en noyés. Des cadavres entiers pendent sur leurs portiques, des têtes tournent à toute vitesse sur leurs disjoncteurs, des corps sont mixés dans la salle des machines, des corps sont empalés sur les parafoudres en réserves, des ponts roulants écrasent des jointures de pieds pour faire un mortier pour monter des corps entiers dans le corps du barrage. J’exècre les monuments, Lawson, j’exècre les réseaux aux centre desquels un bouvier bien pourvu en sperme lève le petit doigt sur sa suite de femelles et vomit dans des plats en argent, j’exècre les ruches et leurs rayons ordonnés en quinconce et la chambre nuptiale où trône une reine infirme gavée de gelée tremblotante et dotée d’une espérance de vie quatre cents fois supérieure à celle de ses ouvrières imbéciles. J’expulse les institutions de ma cage thoracique.
Céline Minard - Le Dernier Monde
Dans les temps idylliques, l’or reposait au fond des rivières et luisait au milieu du ballet des ondines. Puis on l’a transporté dans des cavernes sous la surveillance des dragons, mais ils n’arrêtaient pas de s’endormir et se faisait plus souvent qu’à leur tour décapiter par les héros. Dorénavant, pour plus de sûreté, il est dans les coffres des banques sous ses formes triviales de lingots et de billets - et puis partout, matérialisé de façon plus subtile en bâtiment, mobilier, base de données, ordinateur, capable même de se hausser jusqu’à l’immatériel : matière grise, connaissance, inestimable capital humain.
Vincent Message - Les Veilleurs
Peut-être s’appelent-elles Anaïs et Amélie. Et je serais pigiste au Progrès, chargé de rédiger un article sur les deux vainqueurs ex æquo de l’élection de Miss Pouffe Pays jurassien. Je finirais par tout savoir. Pourquoi cette fierté de merde qu’elles cultivent à coup de cambrures disgracieuses, gros derches trop moulés, et ça tord ça tord, et les nichons qui pointent, les tartines de fond de teint, épais traits noirs pour se niquer le regard, accentuer l’air vorace toi tu me reluques pas plus de cinq secondes ou je t’arrache les trous de nez.
Pierric Bailly - Polichinelle
La raison et l’imaginaire se livrent une guerre civile depuis maintenant des siècles. Ils sont comme des enfants que la Vie tient dans ses bras. Elle les regarde se battre avec les yeux rougis d’une maman affligée. Ça lui fait mal. Chacun des coups qu’ils échangent lui fait mal. Elle sait très bien qu’elle ne brillera pas de tout son éclat avant qu’ils soient réconciliés. L’imaginaire confit de superstitions a engendré une raison orgueilleuse et sûre de son bon droit. Cette raison étroite, à son tour, ne pouvait que faire basculer l’imaginaire vers la nuit la plus noire. Cela continue sous nos yeux. Ils serait vraiment temps que cette guerre civile cesse. Qui va baisser les armes en premier? Qui agitera le drapeau blanc? Personnellement, je tiens la vraie raison en grande estime, car je la vois comme une force infinie. La raison des penseurs… des scientifiques… Elle peut nous libérer. Elle a le pouvoir de nous aider à accomplir nos rêves. Le jour où la raison sera vraiment pragmatique, elle réclamera elle-même la prise en compte de l’homme imaginaire. Sinon elle ne fait que jouer avec des pièces tronquées en deux. -- Mais de son côté l’imaginaire doit sortir de la Nuit et reprendre le large. Je ne vois que cette solution. Un pas chacun. C’est comme ça qu’on arrête les guerres.
Vincent Message - Les Veilleurs
Pour tous ceux qui l’ont vu, c’était un petit coin de paradis. C’était un terrain appartenant à la ville de Chaville, laissé à l’abandon. L’hiver dernier, des citoyens ont décidé d’en prendre soin.
La porte était ouverte. Ils sont entrés. Ils se sont rencontrés. Ils ont enlevé les mauvaises herbes, coupé les ronces, retiré les débris en plastique, les morceaux de ciment, les barres de fers dangereuses, labouré, ou plus exactement greliné la terre. Ils ont planté, semé, arrosé, arrosé, arrosé toutes les semaines depuis deux mois. Ils ont fait de ce terrain vague un petit coin de paradis.
En parallèle de ce travail de la terre, on se renseigne auprès de la mairie: Le plan d’occupation des sols va être modifié. Le temps de décider, de voter et de commencer les travaux, le terrain est disponible jusqu’à février 2012 au moins. Cela laisse le temps de faire deux récoltes - été et automne. Tant pis si cela ne dure pas - profitons du moment, de la brèche.
Nous essayons néanmoins d’obtenir une convention d’utilisation éphémère avec la ville. Nous n’obtenons rien - jusqu’au jour où nous sommes convoqués: «Peut-être que nous avons posé un cadenas pour protéger notre matériel et nos cultures; oui nous savons que le terrain est à la mairie, c’est pourquoi nous voulons signer une convention d’utilisation, c’est ce que nous vous demandons depuis des semaines».
Monsieur le Directeur général adjoint en charge des services techniques, nous affirme que la mairie a ses raisons pour ne pas autoriser l’utilisation de ce terrain. Mais nous les connaîtrons pas. Quant à Monsieur Christophe Tampon-Lajarriette, le maire Adjoint délégué à l’Urbanisme et au Patrimoine communal, il est enfin prêt à nous recevoir bientôt tout de suite, après des mois de silence.
Sinon, amis chavillois jardiniers, soyez rassurés: la Mairie a le projet de créer un jardin partagé. Un jour. Il faut juste amener de la terre sur le bout de terrain en bordure des voies SNCF prévu au grand destin de devenir le premier jardin partagé officiel de la ville Chaville.
En attendant, les services de la mairie reçoivent le code du cadenas. Et nous réitérons notre demande de convention d’utilisation éphémère. Et enfin nous obtenons notre rendez-vous avec le Maire Adjoint!
Nous y allons en pensant soit avoir notre convention, soit connaître la mystérieuse raison qui empêche à la mairie de faire profiter de ce terrain magnifique au plus grand nombre .
Hélas, ce rendez-vous n’est qu’un traquenard qui se finit par un ultimatum. Nous sommes presque obligés de signer une confession déclarant que nous avons pénétré «par effraction», que nous avons «pris possession» des lieux, que nous avons refusé d’enlever le cadenas, etc.. En échange de ces aveux, la mairie ne portera pas plainte.
Nous n’avons rien signé, le cadenas a disparu ce soir. On aime la Nature, mais on préfère éviter les ennuis.
Ainsi donc, à deux jours des Jardinades de Chaville, un petit coin de Paradis a été rendu à la bureaucratie municipale chavilloise. Plutôt que d’ouvrir et de partager cet espace vert pendant ses derniers mois d’existence, avant l’arrivée des bétonneuses, la mairie préfère le garder à l’abandon.
C’est sans doute pour préserver nos enfants de la tristesse de voir se transformer un jardin splendide, rempli de chants d’oiseaux et de verdure, en route ou en parking que la ville de Chaville a préféré nous obliger à quitter cet endroit magique.
PS (ajout après la publication du billet): Un coup de fil de la mairie, le vendredi 20 mai à 19h00, nous informe que Monsieur Tampon-Lajarriette veut que nous signions le document ce soir. Pourquoi tant d’insistance?
«Mais vous êtes qui, nom de Dieu !?»
Le motard continua sans se retourner, «je suis la raison d’État. La chimère que le bon peuple ne doit jamais voir», puis il sortit et disparut.
[…] les mères nous tirent à elles autant qu’elles peuvent, on croit leur ressembler, on pense avoir leur perfection leur art leur beauté leur bonté et on s’aperçoit que c’est un mensonge, qu’on est un homme, un portrait du père silencieux, un décalque, une statue animée, alors on ignore vers où on est envoyé, vers où on s’en va, sur des traces invisibles, pourquoi on s’éloigne aussi sûrement de la mère et de la soeur, un aimant nous tire vers un monde abominable de cris dans la nuit,[…]
Mathias Enard - Zone