Tous ces messieurs au talent moyen
Généralement parlant, s’il m’est permis d’exprimer mon opinion sur une question si délicate, tous ces messieurs au talent moyen qui, de leur vivant, passent presque pour des génies, s’effacent soudain, dès qu’ils sont morts, de la mémoire des hommes; et il arrive méme que, encore vivants, dès qu’apparait une nouvelle génération qui remplace la leur, ils soient oubliés et dédaignés de tout le monde dans un laps de temps incroyablement bref. Cela se produit chez nous soudainement, comme les changements de décors au théâtre. Oh, il se passe là tout autre chose que pour des Pouchkine, des Gogol, des Moliére, des Voltaire, pour tous ces hommes qui venaient apporter un message nouveau et bien à eux ! Il est certes également vrai que chez nous ces messieurs de talent moyen, au déclin de leurs jours respectables, se trouvent d’habitude avoir épuisé leur veine de la fagon la plus lamentable et sans méme s’en douter. Il arrive souvent qu’un écrivain à qui l’on a longtemps reconnu une extraordinaire profondeur, et que l’on s’attendait à voir exercer une profonde et sérieuse influence sur l’évolution de la société, révéle a la fin une telle inconsistance et une telle minceur de sa petite idée fondamentale que nul ne regrette méme qu'il ait pu venir si vite bout de ses moyens. Mais les vieillards chenus ne s’en apperçoivent même pas et se fachent. Leur amour-propre, précisément au terme de leur carriére, prend parfois des proportions dignes d’étonnement. Dieu sait pour qui ils commencent à se prendre - au moins pour des dieux.