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Je suis l’argent

« Ce que j’en pense ? Je vais vous le dire. Je suis l’argent. C’est aussi simple que cela. Je suis l’argent. Je manipule chaque jour des sommes plus importantes que le PNB de notre pays. Chaque jour. Bien plus d’argent que vous ne pourriez imaginer. Parce qu’il existe une vérité première, à son sujet. Lorsqu’il atteint un tel niveau, l’argent change de statut. Il devient une chose démesurée. indépendante, puissante et belle. C’est une tempête, une tornade. Je ne le possède pas, je ne le contrôle pas, car nul n’en serait capable. Il serait impossible d’en devenir le maître. Je ferme les yeux et je pénètre en lui, et il m’emporte pour un temps — seulement Juelques instants car personne, je dis bien personne, ne résisterait plus de quelques secondes sans se faire déchiqueter —, mais quand je ressors de ce tourbillon et que j’ouvre les mains je constate que j’ai saisi et ramené une prise. Ce qu’on appelle le profit. Ce n’est pas un terme vulgaire, c’est la seule chose qu’on peut ramener du monde de la finance. Une simple poignée. Vous pensez que c’est ma motivation, que je fais cela par goût du lucre ? Non, j’exerce de telles activités parce que c’est beau. Beau et terrifiant à la fois. Je risque constamment de me faire débiter en menus morceaux, mais au cours des instants passés dans ce milieu je fusionne avec ces richesses. Vous pouvez parler de valeur fondamentale, de mark-to-market et d’utilité sociale, mais ce sont des mots sans importance parce que l’argent s’en fiche éperdument. Des règles simples, un jeu d’enfants — tu me donnes ceci maintenant, et moi je te donnerai cela plus tard — et tous s’affrontent sans que qui que ce soit puisse totalement appréhender la mêlée qui en résulte, car tout devient alors imprévisible et incontrôlable, Et c’est, à mes yeux magnifique. L’argent. L’argent à l’état brut. Tout se résume à cela, et vous devriez vous féliciter qu’il y ait des gens tels que nous, et je parle autant de Ferid Bey que de moi-même, parce que nous affrontons quotidiennement ce milieu, nous y plongeons les mains pour en extraire ce qui permet au reste du monde de fonctionner. Et si ce cycle s’interrompait, s’il ralentissait, si l’argent perdait brusquement de son éclat, tout ce que vous connaissez actuellement prendrait fin. C’est pour cela que vos théories sont parfaites mais que l’argent n’en a cure. Et que je m’en fiche moi aussi parce que je suis l’argent. Parce que je fais tourner le monde. Je suis l’argent »

Ian McDonald - La Maison des derviches