L’amour chasse la peur, mais réciproquement la peur chasse l’amour. Et non seulement l’amour. La peur chasse aussi l’intelligence, chasse la bonté, chasse toute idée de beauté et de vérité. Ce qui reste, c’est le désespoir muet ou laborieusement blagueur de quelqu’un qui a conscience de la Présence hideuse dans l’angle de la pièce et qui sait que la porte est fermée à clef, qu’il n’y a pas de fenêtres. Et voici que la chose s’abat sur lui. Il sent une main sur sa manche, subodore une haleine puante, tandis que l’assistant du bourreau se penche presque amoureusement vers lui. «C’est ton tour, frère. Aie donc l’amabilité de venir par ici.» Et en un instant sa terreur silencieuse est transmuée en une folie aussi violente qu’elle est futile. II n’y a plus là un homme parmi ses semblables, il n’y a plus un être raisonnable, parlant d’une voix articulée à d’autres êtres raisonnables; il n’y a plus qu’un animal lacéré, hurlant et se débattant dans le piège. Car, en fin de compte, la peur chasse méme l’humanité de l’homme. Et la peur, mes bons amis, la peur est la base et le fondement de la vie moderne. La peur de la technologie tant prônée, qui, si elle élève notre niveau de vie, accroit la probabilité de mort violente. La peur de la science, qui enlève d’une main plus encore qu’elle ne donne avec une telle profusion de l’autre. La peur des institutions dont le caractère mortel est démontrable et pour lesquelles, dans notre loyalisme suicidaire, nous sommes prèts à tuer et à mourir. La peur des Grands Hommes que, par acclamation populaire, nous avons élevés a un pouvoir qu’ils utilisent, inévitablement, pour nous assassiner et nous réduire en esclavage. La peur de la Guerre dont nous ne voulons pas et que nous faisons cependant tout notre possible pour déclencher.