Les romans d’Haruki Murakami sont pour moi une source de bien-être et de satisfaction. En avoir toujours un d’avance dans ma pile de livres à lire est une assurance contre les mauvais ouvrages, le mauvais temps et le mauvais sort. C’est un réconfort sur commande. La fin des temps a parfaitement rempli ce rôle de rayon de soleil pendant un mois de février bien pluvieux.

licore face au ciel

Milena Mihaylova / CC BY-SA 2.0

Les chapitres impairs de l’ouvrage racontent, à la façon d’un roman noir, les aventures d’un informaticien engagée pour crypter des données. Les chapitre pairs narrent quant à eux la découverte d’un village par un nouvel habitant. Ce village, sa forêt, ses collines et sa rivière, sont isolés du reste du monde par une muraille. Ils obéissent à des règles étranges. Par exemple ils accueillent des licornes pendant la journée, qui ressortent hors des murs pour la nuit. Le héros, qui n’a pas de nom, devient le liseur de rêves de cette communauté.

À la fin du livre il est révélé que les murailles encerclent le monde intérieur de l’informaticien. Ce dernier a la particularité d’avoir un univers intérieur stable et cohérent. De ce fait il est le seul survivant d’expériences sur le cerveau menées quelques années plutôt par l’entreprise qui l’emploie.

Le nouveau venu au village comprend qu’il est à l’origine de cette ville parfaite, où tous les habitants ont une fonction à remplir, où personne ne peut blesser personne, parce que tous ont perdu leurs ego et leurs coeurs. Dans les dernières pages du livre il découvre un moyen de partir et de retourner vers le monde d’où il vient.

Par amour, et parce qu’il se sent responsable de ce lieu, il décide de rester. Même en étant exclu et obligé d’aller vivre dans la forêt, il préfère rester à l’intérieur des murailles de son esprit. Avait-il vraiment le choix? L’informaticien voulait continuer à vivre. Son cerveau a été câblé pour que l’individu physique disparaisse au sein de sa conscience.

Aussi il est difficile de savoir si l’habitant du village a pu décider de rester - auquel cas l’informaticien aurait eu un choix inconscient opposé à son choix conscient - ou bien si la décision de rester a été imposée par la structure du cerveau hébergeant cet univers. Le seul choix issu de son libre arbitre semble être celui de garder son coeur, de redonner le sien à la femme qu’il aime et de s’exclure ainsi de la ville.

Par contrainte extérieure, ou par choix inconscient, le héros de Murakami va abandonner son corps et ses sensations physiques qui le relie au monde pour entrer dans un univers virtuel. Il vivra dans l’éternité de sa conscience, de ses rêves. C’est un destin de Pygmalion inversé, un Pygmalion disparaissant dans la création de son esprit, au lieu d’amener à la vie à cette création.