Pour elle, et peut-être pour de nombreuses autres personnes de sa génération, il semblait que l'avenir serait pire que le présent, que la "stabilité" était une chimère, et par conséquent que la bonne façon de vivre consistait à travailler correctement et discrètement, pour un salaire décent, sans pour autant renoncer aux fonds de retraite, en dépensant autant que faire se peut cette rénumération dans des sorties au cinéma, des restaurants, des vêtements "fun", de beaux meubles, une belle vue, et d'autres gâteries de ce genre. (Je ne veux pas être inspirée par le douleur, dit-elle à son amie Heidi. Je veux être inspirée par l'amour.) Si l'assiduité au travail de John signifiait peu pour elle, il en allait de même pour les quêtes intellectuelles ou spirituelles en tout genre. Ces dernières ne lui paraissaient pas accessibles, seulement sans intérêt. Les biens et les loisirs décoraient sa vie, et elle vivait en attendant la mort, ni heureuse, ni triste. Les sociétés de carte de crédit, les courtiers en prêts hypothécaires, les démarcheurs téléphoniques et les agences de voyage la sollicitaient continuellement. Elle ne les appréciait guère, mais ils satisfaisaient partiellement son désir inquiet d'être reconnue. De temps en temps, elle se servait de sa carte de crédit pou acheter des choses qu'elle ne pouvait pas vraiment se payer, et pendant le premier ou même le deuxième paiement la satisfaction qu'elle expérimentait était quasi sexuelle. Tous ceux qu'elle connaissait vivaient de façon semblable.

William T. Vollmann - La Famille Royale